© Didier Wagner
© Didier Wagner

A Bruxelles, les tournées Jazz Tour des Lundis d’Hortense ont décidé de s’éloigner de temps à autres de la Jazz Station. Pour cette «première», le quintette de Jeremy Dumont avait donc investi le Théâtre Marni ce mardi 5 novembre.
Et bingo ! Salle comble.
Le pianiste présentait son album Eretz – sorti en début d’année et qui avait déjà fait l’objet, en avril, d’une belle tournée en France, en Israël et en Belgique (à laquelle je n’avais pas eu l’occasion d’assister). La musique écrite par le pianiste est à son image : nerveuse, dense, toujours sur le qui-vive. Une musique qui demande de l’attention (et de la tension) de la part des musiciens. Pour cela, Jeremy s’est entouré de jazzmen qui ont du répondant : Armando Luongo aux drums, Damien Varaillon à la contrebasse et surtout Jean-Paul Estiévenart à la trompette et l’impressionnant Godwin Louis au saxophone alto et au soprano. Si «Even You» est radieux et presque rêveur, «Tough But Fair» est nettement plus enlevé et découvre un immense terrain de jeu pour Godwin Louis. Sur ce tempo d’enfer, le saxophoniste américain n’a pas l’air effrayé. Le son légèrement pincé, il enchaîne rapidement les chorus entre lignes vallonnées et virages serrés. Il donne tout, va à la limite sans jamais «aller dans le rouge». Son jeu est clair, défini, précis. Il entraine ainsi dans son sillage Jean-Paul Estiévenart et surtout Jeremy Dumont pour des impros de feu. Depuis quelques temps déjà, Jeremy Dumont s’est affranchi de ses maîtres (Chick Corea, entre autres, pour ne pas le nommer) et délivre un jeu foisonnant d’idées et bourré d’énergie. C’est de plus en plus évident au fil du concert qui montre son touché très personnel, très affirmé et d’une grande clarté. La plupart des compositions sont «chargées» (positivement) mais, grâce à une grande intelligence d’écriture, laissent beaucoup d’espaces à chacun des musiciens. Du coup, la musique respire tout le temps et révèle toujours une part d’optimisme sous un caractère parfois tourmenté. Ça swingue sans cesse, même sur des thèmes plus «apaisés» comme dans ce «Trough Your Eyes» qui permet à Damien Varaillon de s’exprimer longuement dans un solo aussi mélodique que palpitant. «Machann Mango» (de Goldwin Louis), introduit au soprano, devient rapidement tempétueux et les échanges entre trompette et sax – tantôt en contrepoints, tantôt à l’unisson – sont éblouissants d’énergie, jusqu’à l’éclatement final.
Il faudra bien un «Aaron» délicat et sensible pour calmer un peu les ardeurs et permettre à Jean-Paul Estiévenart d’emprunter des chemins qui n’appartiennent qu’à lui, afin d’aller dénicher des notes «cachées». La musique est décidément pleine de surprises. Pour conclure (avant un rappel sur un thème créole incandescent écrit par Godwin Louis) le quintette balance «Eretz», inspiré de musiques et folklores juifs. Le tempo est rapide, les rythmes fluctuants et la musique intense. Armando Luongo fait claquer les tambours et entraîne le public à clapper des mains. Les solos s’enchaînent, brefs et concis. La tension monte… et tout finit par imploser… Alors on repart presque de zéro avec la construction minutieuse du trompettiste qui ramène, peu à peu, tout le monde à la surface pour un final jubilatoire.
Un vrai bon moment. Un concert intense, plein d’énergie et de swing et un quintette à suivre absolument. Bref, tout ce qu’il faut pour être heureux.

Jazzques – Jacques Prouvost – 5 novembre 2019

Merci à ©Didier Wagner pour les images.